De la chaleur humaine
Mes amis et
connaissances, et les plus assidus d'entre vous, chers lecteurs, savent
bien que l'un de mes grands slogans est "Je n'aime pas les gens". J'ai
horreur de la foule, et c'est la cause entre autres, de ma phobie des
soldes, du Louvre aux horaires scolaires, et des Puces le samedi.
C'est aussi la raison pour laquelle dans l'ensemble, je n'aime
pas le métro. Remarquez que je n'ai pas bien choisi mon logement, vu
que j'habite sur le trajet de la ligne 13, sur le branche qui va en
Seine-Saint-Denis, et qui est, subséquemment, continuellement bondée.
Mais cette misanthropie primaire, quand elle est confrontée à
des conditions extrêmes, a tendance à muter (c'est ce qu'on appelle
l'adaptabilité). A partir du moment où il commence à devenir évident
que mon cerveau ne survivra pas à une décharge de haine à l'encontre de
la foule, tellement cette dernière devient envahissante, il se passe
quelque chose de terrible. Je me met à aimer tout le monde. Sans doute
la faute aux endorphines.
Par exemple, aujourd'hui fut
une journée assez morose. J'ai mal au dos, j'ai pas été très efficace,
et mon élève non plus, ce qui me pousse à m'interroger sur mes petites
capacités pédagogiques, et comme vous le savez peut-être, la remise en
question, j'aime pas ça. En sortant de chez lui, je prend la ligne 6
(tranquille), puis la ligne 14 (pas de problème). Et enfin, arrive la
correspondance avec la ligne 13. La mienne. La cracra-surpeuplée-toute
pas belle, la seule, l'unique, l'inimitable. Arrivée dans le dernier
coude avant le quai, je me heurte à un mur humain. Le quai dégueulait
jusque dans le couloir. Je me dis supeeeer, il y a du avoir un accident
ou quelque chose, mais comme ils ne font pas d'annonce, ca doit être
fini, ca va se résorber. Et là, je note un nombre inaccoutumé de gens
en rouge. Avec des ECHARPES et des CHAPEAUX LOUFOQUES rouges et blancs.
Signal d'alarme dans ma petite tête: (là vous imaginez la lampe
clignotante et la sirène): MATCH!!!!
Et
effectivement, j'étais entouré de portugais (ai-je cru comprendre)
joyeux, pressés de voir leurs idoles foutre la patée à je ne sais quel
club français (enfin je dis ca, j'en sais rien, et honnêtement, j'en ai
rien à foutre hein .) Je laisse passer un métro, deux métros, trois
métros... (sans parler de ceux qui vont à Asnières-Genevilliers et pas
à Saint-Denis (un sur deux). Je comptais pas les moutons, là, je
comptais les métros pleins de gens moutonnesques. Bon au bout d'un
moment, je me décide quand même à tenter ma chance, paske bon, il
commence à faire faim, j'ai mal au dos, et je vais pas passer la nuit
sur place. Dans ma grande mansuétude, j'ouvre même le chemin à une
petite dame qui désesperait à côté de moi, et hop, magie, nous
parvenons à grimper dans la boite de conserve à la première tentative.
La question qui se pose ensuite est: le métro va-t-il pouvoir partir?
Nan pask'être dedans c'est bien, mais tant qu'il y a un nombre
non-entier de gens de chaque côté de la porte, on ne va nulle part, comme
nous l'a gentiment rappellé à maintes reprises le conducteur. Chais
pas, les gens, on dirait qu'ils préfèrent laisser un bras à
Saint-Lazare qu'y rester en entier.
C'est une
certaine logique. A laquelle je ne souscris pas, je m'empresse de le
dire. Je tiens à tous mes morceaux, et si l'un d'entre eux est menacé
de devoir rester derrière, tous les autres font front (ce qui fait
d'ailleurs que je suis un peu speed le lundi matin, où je suis
régulièrement confrontée à ce genre de choix. Heureusement, la prof de
bulgare prend la même ligne, et visiblement, elle est aussi saine
d'esprit que moi, et donc tout aussi en retard. Fin de la
parenthèse).
Où en étais-je? Ah oui, donc, au moment
où les portes du métro sont tant bien que mal refermées après qu'un
ultime kamikaze ait réussi à faire pénétrer l'ensemble de sa masse
corporelle dans l'habitacle, *POP*, ma misanthropie bascule. Et je met
à rigoler comme une conne, et à blaguer avec mon voisin et la dame à
qui j'ai ouvert le passage. Et à fournir gentiment des informations top
secrètes genre "ce soir, il y a match au stade de france" au mignon
petit couple qui se trouve à ma droite. Bref,on s'amuse comme des
petits fous. Liège, y un malin qui descend, évidemment y en a un qui
monte aussi, normal, mais le deuxième devait être moins gros que le
premier, pask'on se sent plus à l'aise. Et puis arrive la station Place
de Clichy, dernière correspondance avant le stade. Renouvellement
partiel de population, ca devient complètement dingue, on entre dans
une autre dimension, où la matière (humaine, en l'occurrence) est
compressible à l'infini. Notamment lors des coups de freins
généreusement administrés par le conducteur. Je m'excuse compulsivement
auprès du jeune homme coincé derrière moi contre le strapontin. Sans
lui avouer que dans d'autres conditions, j'aurais très volontiers
fait connaissance avec lui. Il me semble qu'entamer une relation en
écrabouillant impitoyablement (quoiqu'involontairement) l'autre n'est
pas la meilleure façon de lui assurer une longue vie. A la relation, je
veux dire, pas au gars. je ne crois pas, quand même, avoir porté
atteinte à son esperance de vie. En plus il a de la chance que je me
classe dans la catégorie "moelleuse", j'aurai pu, en plus être toute
osseuse, et là, il aurait souffert. Bref, je suis aux anges. Bon
évidemment, deux stations avant la mienne ca commence à se gâter, paske
des portugais ont refusé de descendre momentanément pour laisser passer
quelqu'un qui voulait vraiment descendre, et le quelqu'un en question
était assez remonté. Enfin bon, je suis descendue allègrement du wagon,
après avoir souhaité bon courage aux infortunés pour qui le calvaire
continuait, j'ai fait trois petits bonds pour me dégourdir les
papattes, et je suis sortie à tout berzingue de la station, pour
profiter de l'air frais de Saint-Ouen. Et j'ai remonté, manteau, cheveux
et écharpe au vent, ma rue, avec le Sacré-Coeur en plein dans ma ligne
de mire (et ca m'a même pas mise de mauvais poil, c'est dire), jusque
chez moi. Avec un peu de chance, je vais ptet arriver à faire quelque
chose de ma soirée.
Chuis grave, quand même.
---------------
Oh, et il y a une nouvelle critique sur 3p, grâce à Crooke, bénissons là :)