Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Words, words, words
20 mars 2010

D'un truc moche.

    La semaine dernière, ma maman de là-bas a essayé plusieurs fois de me joindre. En général, ce qui se passe dans ces cas-là, c'est que les gens essayent de m'appeler une première fois, je leur fixe un rendez-vous, le temps d'acheter la carte qui me permet de les appeler, moi. Et puis ils m'appellent au jour dit, et je rappelle.
  C'est comme ça que ca c'est passé cette semaine, sauf que pour une raison ou une autre, la carte que j'avais achetée ne marchait pas. Au bout de plusieurs tentatives, étalées sur plusieurs jours, j'ai eu une dernière fois ma Veve, à qui j'ai demandé de me dire, quand même, en 15 secondes, comment ça allait. Elle n'a eu que le temps de me dire qu'ils avaient un gros problème, sur l'île, avant que la communication soit coupée.
  Un peu inquiète, j'ai fini par envoyer un mail à un de mes "frères", qui vit en ville. Qui m'a répondu jeudi.

  Le problème, m'écrit-il, c'est que deux personnes ont été suspectées d'avoir empoisonné un des instits, dans le village voisin.

           Oli kilim itet John Brian wetem brata blong hem Austen

 "Kilim itet". Ces deux gars, ils ont été lynchés. C'est ça, le "problème".

  Soulagement, l'espace d'une ou deux secondes. Ma famille de là-bas, mes amis, vont bien. Et puis mon cerveau s'est remis en route.

   L'histoire de la suspicion d'empoisonnement, de magie noire, c'est un grand classique. Si quelqu'un meurt subitement, à moins de 60 ans, sans que la cause soit nettement identifiable, c'est toujours vers ce genre d'explications qu'on se tourne. Combien de fois on m'a dit "Machin, il sait tuer à distance, il faut s'en méfier".. C'est pas entièrement du fantasme, d'ailleurs. Des histoires d'empoisonnements, y en a, dont il n'y a pas de raisons de douter.
    Mais quand même. Même en mettant de côté la question de la peine de mort (qui n'existe pas, au V*******,) de l'horreur de la loi du Talion, etc.. le truc qui m'est tombé dessus, c'est que probablement, le seul tort de ces deux personnes, John Brian et son frère Austen, c'était de s'être disputés au mauvais moment avec un gars qui, pour une raison quelconque, est tombé mort peu après. Je ne sais pas s'ils ont été tués par des villageois sous le coup de la colère, ou bien si un conseil coutumier (les chefs, pour aller vite), en a décidé. Je penche pour la première option, mais j'en sais rien. En tout cas, il n'y a pas eu d'enquête officielle, de représentant du gouvernement, de la police, de la justice.

   Tout ça réactive des questions que je m'étais posées lors de mon deuxième séjour, à propos d'autres évènements. Le Chef du village avec qui je m'entendais bien pendant mon premier séjour, et qui avait entre temps été démis de ses fonctions pour avoir tripoté une gamine. Le vieux Fred qui, il y a dix ans, s'est exhibé devant une autre petite fille. Mon copain A..., 19 ans, qui saute dans le noir sur la petite B..., qui en a 15, et essaye de l'entraîner dans le bush de force. Les coups sur les enfants.
   Qu'est-ce que je fais de ces choses-là? Evidemment, je sais bien que des saloperies, il y en a ici aussi, et qu'il y a quelques décennies, certaines étaient considérées comme normales. Bien sûr qu'il y en a, des explosions de violence, ici; elles sont mêmes beaucoup plus fréquentes, plus répandues..

   Mon problème, à moi, c'est que mon système de valeurs est ce qu'il est, et que, quand je suis ici, je le partage avec une grande partie de la population. Qu'on est d'accord pour penser que quelqu'un qui tue doit être puni, mais qu'il a le droit à un jugement. Quand j'étais là-bas (et même maintenant que je suis revenue, parce que j'ai créé des liens), je me retrouvais au milieu de gens qui n'avaient pas le même système de valeurs. Pas les mêmes échelles de jugement, pas les mêmes réactions. Pas les mêmes soupapes. Le pédophile paye une amende, mais le gars suspecté d'avoir jeté un sort à quelqu'un, lui, il est trucidé dans la foulée.
  Qu'est-ce que je fais de ces choses-là? Je ne peux pas "éduquer les foules" (quoique j'ai essayé de discuter, par exemple, avec certains des garçons, des traitements à ne pas faire subir aux filles. Coup d'épée dans l'eau, probablement..), arriver avec ma morale et essayer de l'imposer. D'abord je n'aurais aucune chance d'y arriver à moi toute seule, et puis... les dérives de cette position-là sont tellement évidentes.. On peut pas décider tout seul que son mode de fonctionnement est meilleur et aller l'imposer aux autres.
  Je ne peux pas non plus prendre pour prétexte ces évènements et décréter que je n'irai plus, que je n'aime plus ces gens, que ce sont des barbares,..
  Et je ne peux pas compartimenter, au point d'avoir un système de références morales valable ici, et un autre là-bas.

  Alors, qu'est-ce que je fais de ces choses-là? Où est-ce que je les mets?
 

Publicité
Commentaires
B
"Alors, qu'est-ce que je fais de ces choses-là? Où est-ce que je les mets?"<br /> <br /> Tu les mets dessus :<br /> <br /> http://www.flickr.com/photos/patrick-smith-photography/4204497503/
G
... " Comment faire pour vivre tranquillement avec ces gens que j'aime ..." Bien sûr que tu ne peux pas, et c'est tant mieux, parce que sinon tu ne serais plus toi ! Il faut que tu admettes que l'intranquillité est ton lot, et que toute ta vie tu auras mal à l'âme devant une injustice, un abus de pouvoir, une méchanceté, que ce soit sur ton palier ou à l'autre bout du monde . Discuter de tout cela avec les gens en question ne changera sans doute pas grand chose, mais ce sera déjà un pas ... <br /> Bises
S
Tu es très claire. Ma dernière phrase, ponctuée d'un point d'interrogation et d'un smiley, n'était qu'une sortie un peu cavalière pour un commentaire qui ne menait nulle part (en tout cas pas à une réponse à tes questions). Ta question - que tu qualifies de rhétorique et qui pourrait quasi être philosophique - ne comporte pas de réponse simple, claire, efficace et applicable à tous.<br /> Je ne peux pas clairement m'imaginer dans ta position, je ne peux donc même pas essayer d'imaginer comment je réagirais, moi...<br /> :)<br /> T'embrasse.
G
Si si tu es très clair, dans une situation d'ambiguïté difficile à démêler, oui les cultures sont différentes, et oui il n'en reste pas moins qu'il y a des choses difficilement acceptables, et qu'invoquer alors la culture est un peu trop simple... Pas simple comme cas de conscience, pas simple du tout...
M
Tippie et Delest: merci :)<br /> <br /> STV: Oui mais non. La fin de ton commentaire n'est pas acceptable. Ce n'est pas possible de "ranger au fond de ma poche avec mon mouchoir" par dessus tout ce qui a construit mon système de références, et ce n'est pas non plus possible d'y mettre ce que j'apprends là-bas. Ce n'est pas possible de switcher entre les deux sur tous les sujets. Sur certains, oui. Je ne considère pas comme inscestueux tous les gens de là-bas qui ont épousé leur cousin(e); j'ai mis entre parenthèses tout un tas de certitudes, comme tu dis.Je me suis adaptée à tout un tas de choses. <br /> <br /> Mais il y a des limites à ce que le relativisme culturel peut justifier, et je ne peux pas, je ne veux pas, m'adapter à une situation de lynchage ou de viol. <br /> Si tu me relis bien, ma question, ce n'était pas "est ce que je mets de côté mon histoire et mes valeurs?". Ma question, rhétorique, encore une fois, c'est de savoir comment faire pour vivre tranquillement avec ces gens (oui parce que même loin, je vis avec, d'une certaine façon), que j'aime, quand il y a cette chose irréductible au milieu. <br /> <br /> Je suis pas sûre d'être claire...:-/
Publicité
Publicité