Des repas en famille
Les
repas, chez moi (enfin chez mes parents, quoi, parce que chez moi,
évidemment, je suis toute seule, c'est moins drôle), c'est parfois
assez folklo. Déjà, il existe une propension familiale à balancer des
conneries et à rebondir hystériquement dessus, de jeu de mot en jeu de
mot, jusqu'à atteindre le fou-rire généralisé. Tout cela émaillé,
évidemment, de citations et privates jokes renvoyant à à peu près tout
et n'importe quoi, du dernier spectacle de Gad Elmaleh à Shakespeare,
en passant par Lucky Luke et consorts, sans oublier le répertoire de
blagues cons brevetées et cataloguées.
Mais le truc
vraiment caractéristique, c'est la tendance de deux des quatres membres
(nommément, mon papa et moi) à se lever de table pour aller déterrer un
dictionnaire poussiéreux, histoire de vérifier incontinent un truc
absolument essentiel à la continuation d'une existence normale.
Par exemple, ce matin, au ptit déj, j'interroge ledit papa sur un petit problème de thème latin
posé il y a peu par Martin Lothar. Dans les 15 secondes, zou, Gaffiot
(également connu sous le nom de Felix, ou de Gaf) atterrit sur la table
(attablit?) et nous livre ses secrets:
moi- Non, Papa, Virgile n'est pas considéré comme classique, il faut voir ce que dit Cicéron!
mon papa - Bah, c'est des conneries de profs de khagne, ca.
moi - Certes. D'ailleurs, j'aime pas Cicéron....
ma maman -tu préfères Poincaré uhuh...
moi (ignorant superbement) -... mais là n'est pas le problème. Bon alors il dit quoi Cicéron?
mon papa- ouais bon, ok, "unus", ca peut marcher dans ce contexte là, mais vaudrait mieux le placer après.
Dix minutes plus tard, à la suite d'une obscure conversation sur
la parité homme-femme dans la langue française, Gaf est rejoint par
Dauzat et Picoche (Bloch et Wartburg étant à mon grand regret
indisponibles dans cette maison, il faudra d'ailleurs y remédier), les
étymologistes de service (tiens d'ailleurs, on dit étymologue, ou
étymologiste? étymologiste ca fait penser à entomologiste, jtrouve).
Objectif: parvenir à décider de l'origine du mot "mari".
En fait, c'est toujours à table que les questions existentielles
se posent. Ce soir, à propos d'une affiche dans le métro vantant les
mérites d'un cours d'anglais (Wall Street English, pour ne pas les
nommer) qui proclamait royalement "TROIS MOTS ONT SUFFIT" (pour faire
une faute de français,mais en même temps c'est des cours d'anglais,
qu'ils donnent, pas des cours de français), nous nous sommes interrogés
sur l'existence de verbes faisant -vraiment- leur participe passé en
-it (ouais paske même "suffiter", ca devrait faire "suffité", en toute
logique). Après trois minutes de brainstorming, on n'avait trouvé que
les composés de dire, mais après, ma maman a demandé qui revoulait de
la salade, alors on est passés à autre chose (la qualité des concombres
du beau-père de ma soeur, pour ne rien vous cacher).
Hier, à 7h 10, mon papa sort de sa chambre, la tête dans le seau et les
cheveux néanmoins ébouriffés comme à l'accoutumée, pour s'entendre
demander ce que racontait au juste la théorie quantique. Y a des
matins, comme ca, je pète la forme, surtout quand, comme depuis une
semaine, je n'arrive pas à dormir au delà de 7h30. Au crédit de l'auteur de mes jours, je dois
dire qu'au débotté, comme ca, il s'en est plutôt bien sorti (enfin pour
autant que je puisse en juger, évidemment).
Tout ca pour vous prouver que, quand même, dans les familles d'intellos, on s'éclate grave lors des repas.