D'une douleur.
C'est un peu comme une musique, il me semble. Une ligne musicale dans le fond, et puis un motif par dessus, et puis encore un autre. Une douleur sourde et un peu massive au fond, qui enfle par moment, sans trop bouger. Et puis une autre, plus aiguë, plus pointue, qui se déplace le long de la gencive, de l'arrière vers l'avant. Je sais que quand elle atteindra la canine, elle cédera et disparaîtra. Et puis une autre, au niveau d'une dent bien précise, pas la même à chaque fois, qui se met à pulser de façon très régulière. De temps en temps, une décharge électrique familière. Et juste la pression qui demeure lorsque la crise se termine.
J'apprends à les reconnaître, à les identifier, à les délimiter. Je suis leur trajet. Ca remonte parfois jusque dans l'oreille ou dans la tempe. Uniquement du côté gauche, heureusement. Pendant des heures. Depuis des jours.
Parfois j'en chiale. Parfois j'ai envie de taper dans des trucs pour faire diversion. Parfois ça me plonge juste dans une espèce d'état brumeux. J'écoute mes
dents, et je dois avoir l'air de fonctionner au ralenti, de
l'extérieur. Parfois, ça me déprime. L'idée que je ne peux pas y faire grand chose, et que je vais devoir supporter ce genre de douleur régulièrement toute ma vie. Et puis hier... ça m'a tenue éveillée toute la nuit dernière, et j'ai le souvenir d'une espèce de lucidité, d'une colère blanche. "Je vais t'avoir, saloperie, tu vas bien être obligée de céder". Sans bien savoir si je m'adressais à mes dents, à la douleur, à moi-même.
J'ai l'impression d'avoir passé des heures à compter comment je pouvais répartir mes médocs sur la nuit pour ne pas risquer le surdosage (ce serait con de me ruiner le foie juste pour soulager mes gencives pendant deux heures). A organiser des stratégies pour mieux supporter, pour ne pas être la première à lâcher. L'impression de comploter contre une espèce d'ennemi extérieur à contourner et à abattre. Qui a fini d'ailleurs par reculer, vers 9h du matin.
Victoire.