De la lecture dans le métro
La lecture dans le métro,
c'est une échappatoire. Un prétexte pour ne pas avoir à regarder les
autres, une façon comme une autre de s'enclore dans un petit monde
étanche au reste de l'existence. Pour ne pas avoir à regarder le gars
d'en face qui vous mate avec un sourire tordu, la petite vieille qui à
l'air, même assise, de vaciller sous le poids du monde, des gens, du
bruit ambiant, du mouvement. Pour ne pas subir les conversations
débiles de certains voyageurs, ni être tentée de tendre l'oreille aux
conversations personnelles d'autres voyageurs (ou bien pour pouvoir les
écouter discrètement, à l'abri derrière un rempart de papier). Pour ne
pas avoir à regarder le mendiant qui vous débite son boniment pour la
trois-cent-douzième fois de la journée, sur un rythme saccadé, comme si
les mots, tellement répétés, avaient perdu leur sens. "Comme si", parce
qu'évidemment...
Lire pour ne pas avoir à lui dire non. Il n'est pas dans le livre, de toute façon.
Lire dans le métro, c'est une façon de ne pas imiter ces
parisiens qui tirent la tronche, en silence, le matin, parce qu'ils
n'ont même pas eu le temps de se réveiller, de se blinder que déjà, ils
sont obligés de partager un mètre carré avec 5 autres personnes. Ca
donne une occasion de sourire, ou de rigoler toute seule, quitte à
passer pour une extra-terrestre.
Un bouquin, ça donne
une contenance, un support, un point où fixer les yeux, dans ses
moments où on évite de croiser le regard des autres, parce que ce sera
perçu soit comme une intrusion, soit comme une invitation. Or, éviter
le regard de tout le monde sur la ligne 13 du métro parisien un lundi
matin à 8h45, j'aime autant vous dire que ça demande des trésors
d'ingéniosité. Alors lire, ça épargne au moins le regard de poisson
mort, les yeux dans le vide fixé pour la énième fois sur le plan de la
ligne, comme si on ne connaissait pas par coeur l'ordre des stations.
Saint-Lazare, Miromesnil, Champs-Elysées, Invalides, Varenne,
Saint-François Xavier, Duroc. C'est marrant, cette capacité qu'a le
temps de s'étirer, de traîner, de transformer dix pauvres minutes en
calvaire, uniquement parce que vous ne savez pas où poser le regard, et
que fixer votre propre reflet dans la vitre (au moins, on sait comment
il réagira, lui), ça vous donne un l'air de zombie ultra-narcissique.
(Et puis faut supporter de se fixer dans les yeux pendant 45 minutes le
matin).
Alors bon, c'est soit lire, soit fermer
les yeux. Mais fermer les yeux, quand on n'a pas trouvé de place
assise, c'est casse-gueule. Et puis il faut les rouvrir à chaque
station, ou alors on risque de s'endormir. Pas la meilleure solution.
Alors va pour la lecture. Ca permet de rentabiliser les
interminables temps de trajets en commun, pour bosser, ou finir un
bouquin qu'on doit rendre le lendemain-dernier-délai à la bibliothèque.
Et puis je ne vais pas mentir, certains jours, les bouquins, je les
embarque en partant, non pas dans l'idée de foutre le monde à la porte
de mon cerveau, mais tout simplement parce que je n'arrive pas à les
lâcher après le petit-déj.
Et puis quand même, des fois, les livres, ca
fait des liens, dans les transports en commun. J'ai toujours envie
d'aborder les gens qui lisent un bouquin que j'ai beaucoup aimé. De les
rencontrer ptet, ou de les connaître, même. (Ceux qui lisent des
bouquins que je n'ai pas aimés, j'ai aussi envie de les aborder, pour
leur conseiller autre chose, remarquez :D)
J'ai
des jours-à-lecture dans le métro, et des jours sans. Des jours où je
me sens d'humeur à voir les gens, à regarder les bébés dans les yeux, à
admirer les filles magnifiques, à repérer les gars qui pourraient me
plaire, à plaisanter avec les autres sardines de la boîte sur le charme
et la chaleur humaine de la ligne 13, à rigoler paske des jeunes font
les cons à côté de moi, et que je les trouve délicieusement lumineux
(les jours-à-lecture, en général, les mêmes, je les trouve chiants
comme la mort).
Les jours avec lecture et les jours
sans se répartissent à peu près équitablement. Au final, je ne déteste
pas tant le métro que ce que je pensais en arrivant à Paris, il y a un
an et demi. Même si je me rends compte que cette intrusion permanente
du reste du monde (enfin de Paris, ce qui fait encore beaucoup beaucoup
de gens) dans mon espace au moindre déplacement, ça pèse très lourd
dans mes moments de déprime parisienne.
Je réalise
juste qu'avoir recours à la lecture, ça me change pas tellement,
finalement. Ca me déprime un peu, à vrai dire.
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Les mots sur la musique:
"Je finis ma nuit
Sur la barre d'appui,
Sauf si l'on prend mon pied
Pour un vieux papier.
Dans les courbes, les chromes
Aimantent les mains,
Mes doigts meurent sous la paume
De mon prochain."
Dans les transports, Thomas Fersen